Le poète bien-aimé du Bengale, Rabindranath Tagore (1861-1941), a vécu à une époque particulière où le mouvement des idées, des peuples, des croyances et des cultures commençait à se mondialiser. Le monde s'accélérait et l'espace - physique et mental entre les personnes était devenait comme plus petit. Pourtant, quand certains construisaient des barrières, d'autres construisaient des ponts. A l’heure où les nations revendiquaient la seule supériorité et la souveraineté sur la terre, une voix au Bengale chantait le yoga, l'union et la religion universelle de l'homme.
Les œuvres de Tagore parlent avant les autres d’un monde intégré. Ses poèmes expriment une union entre ses voyages externes et son introspection. Ses chansons parlent la délicieuse danse entre l'infini et le fini. Ses romans, ses pièces de théâtre et autres écrits mettent en lumière une vie en recherche constante de la perfection de la vérité. Pour Tagore, dans un monde au bord de la désunion, l'unité ne devait pas être recherchée dans le transitoire, comme la nation ou l'État, mais dans ce qui est éternel, ce qui est en chacun, que l’on découvre suivant un processus de réalisation de sa propre divinité, cachée en soi-même.
‘L’homme a son autre domicile dans le domaine de la réalisation intérieure, dans l’élément à la valeur immatérielle. C’est un monde où, à partir du sol souterrain qu’est le mental, la conscience envoie des graines germer, de façon inattendue, au cœur d’une liberté lumineuse, et où l’individu est amené à réaliser sa propre vérité dans l’Homme Universel.’
- La Religion de l'Homme
Gitanjali est de loin l’œuvre la plus connue de Tagore en Occident. Avec ce recueil de 103 poèmes, il a été le premier non européen à recevoir le prix Nobel de littérature en 1913. Dans la préface du recueil, W.B. Yeats fit la remarque suivante, ‘à Gitanjali ‘tout un peuple, toute une civilisation, vraiment très étranges à nos yeux, semblent avoir été absorbés par l’imagination, et pourtant, nous ne sommes pas émus par son étrangeté, mais parce que nous y avons rencontré notre propre image.’ En vérité, c’est une recherche universelle qui semble résonner de l'intérieur des mots de Tagore dans ses ‘offrandes de chansons’. Ces mots visent à encadrer et à maintenir le Moi sublime de la divinité omniprésente et de personne d'autre. Cette trajectoire peut être encore mieux estimée par ces trois poèmes saisissants, choisis au début, au milieu et à la fin du recueil de Gitanjali.
Premièrement, il y a le désir; ce feu qui rapproche ou éloigne l'être de soi:
14. Mes désirs sont nombreux et mon cri est pitoyable, mais Tu m'as toujours sauvé par de durs refus.
De jour en jour, Tu me rends digne des grands et simples dons que Tu m'as offerts - ce ciel et la lumière, ce corps et la vie et le mental qui me sauvent des périls d'un désir excessif.
Il y a des moments où je m'attarde langoureusement et des moments où je m’éveille et me dépêche à la recherche de mon objectif; mais Tu t'es caché cruellement à mes yeux.
De jour en jour, Tu me rends digne de ta pleine acceptation en t’opposant parfois à ce désir ce qui me sauve des périls d'un désir faible et incertain.
Puis à peu près à mi-chemin, le poète bengali pivote de l'extérieur vers l'intérieur, chantant la recherche de l'être intérieur:
66. Elle qui était à jamais restée au fond de mon être, dans la pénombre, avec quelques lueurs entraperçues; elle qui n'a jamais levé le voile dans la lumière du matin, sera mon dernier cadeau pour toi, mon Dieu, enveloppé dans ma dernière chanson.
Les mots l’ont courtisée, pourtant ils n'ont pas réussi à la gagner; la persuasion lui a en vain tendu ses bras avides.
J'ai erré de pays en pays en la gardant au fond du cœur, et tout autour d’elle la décadence de l’élévation ma vie on tantôt diminué tantôt augmenté. Au fil de mes pensées et de mes actions, de mon sommeil et de mes rêves, elle a régné tout en demeurant seule et à l'écart.
Beaucoup d'hommes ont frappé à ma porte pour s’enquérir d’elle, puis se sont détournés de désespoir.
Personne au monde ne l’avait vue face à face, et elle est restée dans sa solitude en attendant ta reconnaissance.
Enfin, voilà l’achèvement, la synthèse et la réalisation:
95. Je n'étais pas conscient du moment, quand j'ai franchi pour la première fois le seuil de cette vie. Quelle puissance m'avait fait m'ouvrir à ce vaste mystère, comme un bourgeon dans la forêt à minuit!
Quand, au matin, j'ai regardé la lumière, j'ai senti un instant que je n'étais plus étranger à ce monde, que l'Impénétrable, sans nom ni forme, m'avait pris dans ses bras sous la forme de ma propre mère.
Même ainsi, dans la mort, ce même Inconnu m’apparaîtra comme connu de moi depuis toujours. Et parce que j'aime cette vie, je sais que j'aimerai tout autant la mort.
L’enfant crie quand sa mère l'enlève du sein droit, pour trouver à l’instant suivant, sa consolation dans le sein gauche.
Le féminin divin, la Mère, l'enveloppe et le nourrit pour faire émerger sa lumière intérieure. Par sa grâce, il se trouve face à face entre le fini et l'infini - avec ce qui est vrai, unique et intime. Maintenant, plus que jamais, le voyage de Tagore éclaire le chemin du même voyage universel que nous devons tous entreprendre, pour découvrir l'aube d'un nouveau jour. Dans un monde imprégné par le manque d’union, suivre ses traces, écouter sa mélodie, nous aidera à nous rapprocher de l'unité. En substance, de combler le fossé entre vous et moi.